Le palmarès des mobilités de l’Adetec est catastrophique pour Toulon. Il est nécessaire d’en prendre connaissance !
Profitons en pour vous partager un article de Sylvain Grisot sur la bagnole, paru dans DIXIT :
Il y a des écrits fugaces et d’autres qui restent. Mais certains, plus taquins, rebondissent d’époques en époque, comme ce texte d’André Gorz publié dans la revue Le Sauvage en 1973, qui résonne particulièrement bien avec les enjeux d’aujourd’hui.
La voiture encombre nos bronches, nos rues et nos territoires, et la rendre électrique ou autonome n’y changera pas grand-chose. Car ce n’est pas une question d’engin ou de mobilité, mais bien un enjeu culturel et urbain. C’est ce qu’expliquait déjà André Gorz il y a un demi-siècle, mais qui n’est toujours pas compris par beaucoup, quel que soit leur camp. L’irruption de la voiture dans nos villes n’a pas changé que le profil de nos rues, elle a aussi transformé nos territoires et nos vies. C’est un outil magique qui permet à l’urbanisme de faire abstraction des distances, de fragmenter les usages et de les éloigner. Alors par naïveté ou paresse, nous avons laissé à la voiture le soin de dessiner nos territoires.
Car nous nous sommes bel et bien acharnés à adapter nos villes à la circulation automobile, jusqu’à les rendre inhabitables. La fuite vers la campagne est alors devenue la seule issue viable, et l’usage quotidien de la voiture une nécessité vitale. Le parc automobile a pris de l’embonpoint, occupé toute la place, engorgé les infrastructures jusqu’à provoquer la thrombose du système, et nous a enfermé dans une impasse climatique. Alors, quand on circule moins vite qu’une bicyclette dans un véhicule conçu pour dépasser les 150 km/h, on rajoute une voie. Tout le monde peut ensuite habiter, commercer ou travailler un peu plus loin, augmentant le flux de boîtes de fer motorisées, jusqu’à ce que ça coince encore. On le sait pourtant depuis les années 1950, grâce à Lewis Munford : « Ajouter des voies à une autoroute pour réduire les embouteillages, c’est comme desserrer sa ceinture pour lutter contre l’obésité. »
C’est pourtant ce que nous avons fait avec obstination pendant des décennies. Depuis la publication de ce texte d’André Gorz, l’obésité automobile a pris des proportions terribles. La population française a augmenté de 30 %, mais le parc automobile a explosé de 300 %. L’alternative à l’impasse dans laquelle nous sommes ne peut pas passer par la destruction de la grande ville pour en refaire une nouvelle, comme le suggère André Gorz avec l’entrain révolutionnaire des années 1970. Nous n’avons ni les ressources, ni le temps et l’équation carbone ne tient pas.
Mais le changement nécessaire pour rendre nos villes habitables n’est pas moins radical : mettre fin à la division systématique des fonctions et à l’étalement urbain, adapter nos quartiers pour accueillir partout tous les usages dans la proximité, décarboner et adapter le bâti existant aux changements du climat et des modes de vie, investir massivement dans les transports collectifs et tisser partout des réseaux de mobilités alternatives efficaces… C’est tout un programme dont la première étape est culturelle : faire comprendre qu’une autre ville est possible, car notre dépendance automobile n’est pas une fatalité mais un construit idéologique.
Voilà pourquoi ce texte est essentiel.
— Sylvain Grisot