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Un article qui donne un aperçu d’un mode de gouvernance participatif très performant…
La sociocratie, un mode de gouvernance participatif
La sociocratie propose approche systémique des questions organisationnelles et managériales qui résout la question si délicate du pouvoir et de son exercice. Focus sur ce mode de gouvernance.
Un peu d’histoire
Le mot « sociocratie » a été inventé par Auguste Comte, philosophe français du début du XIXe siècle que l’on considère comme le père de la sociologie. Ce terme signifie littéralement le gouvernement des associés, c’est-à-dire d’un ensemble de personnes qui partagent une vision, une mission, des règles de fonctionnement et des objectifs qu’ils souhaitent réaliser ensemble.
Kees Boeke (1884 – 1966), psychosociologue et pédagogue hollandais reprit le terme « sociocratie » pour décrire un mode d’organisation avec trois règles qu’il expérimenta au sein de la Werkplaats Community School en Hollande :
- les intérêts de tous les membres sont pris en considération, chacun acceptant de se soumettre aux intérêts de la communauté ;
- une solution n’est adoptée que si elle est acceptée par ceux qui vont la mettre en œuvre ;
- tous les membres sont prêts à agir conformément aux décisions prises unanimement.
Gerard Endenburg fut l’un des élèves de cette école. Devenu ingénieur en électromécanique, il hérita de la direction de l’entreprise familiale au début des années 70 et il voulut y recréer la même qualité de participation qu’il avait expérimentée au sein de la Werkplaats Community School. Mais dans une entreprise, les règles formulées par Kees Boeke n’étaient pas utilisables en l’état. Gerard Endenburg devait prendre en compte les intérêts de toutes les parties prenantes, investisseurs compris, et garantir l’atteinte des objectifs de l’entreprise sans dépendre de la seule bonne volonté des employés pour prendre des décisions unanimes.
Il s’inspira du fonctionnement des organismes vivants ou des systèmes cybernétiques et conclut que pour rendre son entreprise capable de s’auto-organiser et permettre à tous les membres d’y prendre toute leur part, il lui fallait organiser l’équivalence entre eux.
L’équivalence, c’est l’affirmation que tous sont sujets et non pas objets du projet commun et que la contribution de chacun est nécessaire au bon fonctionnement de l’entreprise collective. L’équivalence, c’est le droit reconnu à chacun de consentir ou non à une décision qui modifie de façon significative et durable les orientations, les modalités de son travail ou du travail de son équipe, voire de toute l’entreprise.
Endenburg devait également prendre en compte que dans un système dynamique, ou un organisme vivant, trois fonctions coopèrent dans l’équivalence : une fonction d’orientation qui fixe un objectif, une fonction d’exécution qui vise à réaliser l’objectif, une fonction de mesure qui évalue l’écart entre l’objectif et sa réalisation.
Actualité de la sociocratie
La sociocratie, que les Américains préfèrent appeler « Gouvernance dynamique », est pratiquée aux Pays-Bas depuis plus de quarante ans dans des organisations variées : entreprises industrielles ou commerciales, associations, écoles, administrations. Des évaluations formelles ont démontré que ces organisations connaissent un fort accroissement au niveau de l’innovation et de la productivité, une réduction du nombre de réunions, une réduction du taux d’absentéisme pour maladie et une implication accrue de tous les membres.
En France, la sociocratie est encore largement méconnue, mais elle fait son chemin et c’est le monde associatif qui s’en est emparé le premier. Des associations, grandes et petites, des groupes d’habitats groupés, revendiquent un fonctionnement sociocratique et utilisent la méthode avec profit. Des collectivités et de petites entreprises s’y intéressent également.
En pratique
Pour installer l’équivalence des personnes et des trois fonctions dans son entreprise, Gerard Endenburg a jugé que la structure pyramidale classique était adéquate pour « exécuter », mais inadéquate pour « orienter ». Pour prendre les décisions d’orientation – qui concernent les objectifs, les processus de travail, les règles de fonctionnement – il fallait une structure spécifique pour que ces décisions puissent être prises, à leur niveau, par ceux qu’elles concernent. Il a progressivement formulé et expérimenté quatre règles : le cercle, le consentement, le double lien et l’élection sociocratique.
Les quatre règles de base de la sociocratie
— Le cercle
La structure de prise de décision est constituée de cercles semi-autonomes inter-reliés. Chaque cercle est formé par un groupe de personnes qui partagent une mission commune. Par exemple un conseil d’administration, une équipe de direction, un service…. Chaque cercle poursuit un but clairement identifié, articulé avec le but des cercles auxquels il est relié, et il organise son fonctionnement comme sous-système de l’organisation. Il est responsable de l’ingénierie de ses processus de travail, qu’il doit définir en termes d’objectifs, d’activités et de mesure des résultats. Un cercle établit ses propres politiques sur la base du consentement de ses membres. Il élabore son propre système d’information et d’éducation permanente par la recherche expérimentale, l’enseignement formel et l’apprentissage sur le tas.
— Le consentement
Le mode de prise de décisions d’une organisation sociocratique est le consentement. Le consentement signifie : il n’existe plus d’objection motivée. Dans un cercle sociocratique, aucune décision d’orientation ne sera prise si un des membres y oppose une objection raisonnable et argumentée. Cette règle favorise l’impossibilité pour quiconque dans le cercle de devoir abandonner sa liberté et sa responsabilité entre les mains d’un autre. Elle permet aussi, dans le dialogue et la confrontation si besoin, d’apprendre à relativiser ses préférences et à découvrir la puissance de l’intelligence collective. Elle invite enfin à redéfinir ce qu’est une bonne décision : une décision est bonne si elle permet d’avancer dans la réalisation des objectifs communs et si elle reçoit le consentement de ceux qui vont avoir à « vivre avec ».
— Le double lien
Un cercle est relié au cercle qui lui est immédiatement supérieur par un double lien. Cela signifie qu’au moins deux personnes, le responsable de l’unité de travail et un membre de son équipe choisi par l’équipe, sont membres du cercle immédiatement supérieur.
— L’élection sociocratique
Le choix et l’affectation des personnes dans une fonction ou la délégation d’une tâche se fait dans le cercle concerné. Après avoir défini ensemble les qualités requises pour le poste, chaque membre du cercle désigne qui lui paraît à même de remplir la mission et argumente son choix. Après une discussion ouverte dans le cercle, la décision est prise par tous sur la base du consentement.
Exemple
Dans une association fonctionnant sur le mode sociocratique de gouvernance qui a un conseil d’administration composé d’administrateurs élus, une équipe de salariés dépendant tous directement d’une directrice, le cercle supérieur de l’association est composé des membres du conseil d’administration, de la directrice, et d’un autre membre de l’équipe salarié choisi selon le processus de l’élection sans candidat par l’équipe salariée (directrice comprise) réunie en cercle.
Le cercle supérieur est garant de l’existence d’un projet associatif actualisé. Dans ce dernier, les décisions sont prises par consentement. Tous les membres, administrateurs élus, directrice, double-lien salarié ont le même pouvoir de décision par consentement dans les réunions du cercle.
Le conseil d’administration n’intervient pas dans le fonctionnement du cercle des salariés, chargé de la mise en œuvre du projet associatif, sauf si ce cercle se trouve confronté à un problème qu’il ne parvient pas à résoudre. Il en appelle alors au cercle supérieur.
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En conclusion
La sociocratie m’a apporté des outils simples et performants pour aider les organisations que j’accompagne comme consultant à articuler harmonieusement un bien commun clairement explicité avec les besoins de chacun de leurs membres et à favoriser le déploiement de l’intelligence collective.
C’est un mode de gouvernance authentiquement participatif qui valorise la contribution et la responsabilité de chacun, renforce l’esprit d’équipe et favorise l’émergence d’un leadership partagé. C’est une proposition unique pour organiser et réguler, au grand jour, toutes les relations de pouvoir de façon à maximiser « le pouvoir de » chacun sans que personne ne puisse accaparer « un pouvoir sur » les autres. La sociocratie, c’est le pouvoir du nous.
Pierre Tavernier, décembre 2014